Claudia Haidara-Yoka, pèlerin de la culture et porte-voix des femmes
Si on dit République du Congo, culture, cinéma et femme, on fera certainement référence de près ou de loin à Claudia Haidara-Yoka. Plus connue pour son combat en faveur du cinéma féminin et de la lutte contre le cancer en Afrique via le festival Tazama…
Claudia Haidara-Yoka, est pourtant d’abord une auteure. Elle réalise cinq films, à savoir: Brazza Blues, Bozoba (Absurdités en lingala et sélectionné aux Ecrans noirs en 2003), Manigances, sélectionné au Fespaco en 2007, Circonstances atténuantes, un film court sur les enfants dits sorciers et Mères-chefs en 2009.
Son implication dans ces combats lui vaudra d’ailleurs d’être invitée à présider le jury longs métrages camerounais aux Ecrans noirs de 2015 et faire partie du jury courts métrages en 2016. Elle a également présidé le jury de la 10ème édition des Escales documentaires de Libreville. L’activisme de Claudia Haidara-Yoka la pousse à créer l’association Clapcongo dès Août 2002 dont les champs d’action sont le cinéma et le théâtre. Clapcongo a été productrice ou coproductrice d’environ 80% des projets liés au cinéma ou au théâtre au Congo. Toutes ces actions qui font bien penser que Claudia Haidara-Yoka ne s’est pas arrêtée sur le nom qu’elle porte dans son pays, elle s’est fait son propre nom dans le monde du cinéma qui est loin d’être un fleuve tranquille en Afrique encore plus qu’ailleurs. Cette dame discrète mais non moins sans caractère a démissionné d’un poste à la culture et cela a fait le tour des réseaux sociaux. Elle aime son pays malgré tout et continue à contribuer maigrement et modestement à son rayonnement culturel. Nous avons rencontré pour vous cette grande Dame de la culture africaine au parcours atypique…
TPM: vous êtes la promotrice du festival Tazama, d’où vous est venue l’idée de créer ce festival et quels en sont les objectifs?
Claudia Haidara-Yoka: Lorsque j’ai commencé à faire des films, j’ai très rapidement intégré le circuit des festivals grâce à Bassek Bâ Khobio, le Président des Ecrans Noirs et je me suis rendue compte que derrière les strass et les paillettes, les cinéastes avaient et ont de réelles préoccupations et de vrais challenges. Lorsque le Cancer me prend ma mère et ma belle mère en début d’année 2013, il me reste deux options: perdre mes repères ou honorer leur mémoire en utilisant ma passion pour le cinéma. Tazama est donc ce festival créé pour soutenir la lutte contre le cancer en Afrique avec des femmes et hommes cinéastes africains qui n’ont jamais ménagé leurs efforts pour me soutenir. Tazama est assurément ma catharsis.
TPM : parler nous de votre carrière, de votre parcours
Claudia Haidara-Yoka: Je suis diplômée en sciences sociales avec une concentration en média, politique et gouvernement. Ma carrière de réalisatrice a démarré sur le tas et j’ai ensuite suivi une formation sur la fabrication et le marketing d’un film avec l’Université de UCLA. J’ai eu la chance d’occuper des postes intéressants dans le domaine de la culture dans mon pays avant de repartir vers les USA pour suivre plusieurs formations supérieures en éducation à l’Université de Harvard. Cela m’a permis de développer un projet éducatif « personnel » sur Brazzaville. Le cinéma est donc un maillon important de ma chaine d’activités. Il me permet d’aller à la rencontre de personnes véritablement engagées.
TPM : Est-il possible d’aborder votre vie privée?
Claudia Haidara-Yoka: Ma vie privée ne ressemble en rien à un scénario de film même s’il y a des rebondissements édifiants qui vous forgent. Je suis une mère qui élève ses trois fils et qui a une vision arrêtée pour leur avenir: éducation, respect, honnêteté et sens du partage; un vaste programme qui ne laisse aucune place au hasard. Sans vivre dans le secret, je cultive paisiblement mon jardin et ma foi.
TPM : quels sont vos grands succès dans le cinéma ?
Claudia Haidara-Yoka: Parler de grands succès dans le cinéma africain de nos jours peut être présomptueux. Je dirai que mon film BOZOBA (Absurdités) a été un déclencheur important. Lors de sa programmation à Yaoundé en 2003, j’ai été surprise par le monde dans la salle et ma conférence de presse qui s’était éternisée… J’ai trouvé cela grisant! Mais, ce que je considère comme étant MON succès, c’est mon film MERES-CHEFS, parce qu’il m’a permis de gagner de l’argent pour permettre aux trois femmes de ce sujet sur le handicap de devenir propriétaires de terrains. Elles étaient harcelées par des propriétaires véreux. Ce film primé dans mon pays en 2009, par un Sanza de la Mfoa, est resté un an dans une exposition sur le fleuve Congo au Musée Royal de l’Afrique Centrale en Belgique, a fait l’objet d’un cours d’anthropologie sociale à l’Université de Louvain et a été en partie le sujet de thèse d’une étudiante à l’Université de Cambridge. Une véritable consécration pour mon premier documentaire et je suis toujours dans la vie de Bijou et Milandou, Yvette nous ayant quittés et j’ai gravé dans mon esprit une phrase de mon ami Dieudonné Niangouna, auteur et homme de théâtre: Voilà un film sur le handicap qui ne laisse pas de place au pathos.
TPM : Quels sont vos regrets et vos plus beaux souvenirs dans le domaine du cinéma bien sûr, mais aussi de Tazama
Claudia Haidara-Yoka: Mon regret est que le cinéma africain et plus spécifiquement le cinéma congolais qui offre de réelles potentialités pour une diversification de l’économie soit marginalisé. Et, il est dommage de constater qu’un événement comme Tazama qui réunit autant de femmes primées dans le monde ne puisse se tenir que grâce à la volonté de quelques mécènes et entreprises locales. Tazama peut apporter un rayonnement culturel intéressant. Il en est de même pour des festivals comme Matsina sur scène ou Tuséo. Mes plus beaux souvenirs sont difficilement quantifiables. Je n’entends quasiment que de belles phrases des femmes cinéastes qui nous rendent visite à Brazzaville. Mais, je dois avouer que recevoir Fanta Régina Nacro à Tazama a été un rêve devenu réalité. Tant d’humilité, de sagesse et de générosité en une seule personne est impensable.
TPM : Quels sont les conseils que vous pouvez donner à ceux ou celles qui veulent se lancer dans le cinéma et en faire une profession?
Claudia Haidara-Yoka: De se former et de foncer… de démarrer même sur de petits projets. De devenir script, assistant ou autre sur des tournages pour apprendre. Le cinéaste Moussa Touré a fait de moi son assistante sur certains tournages de documentaires et je lui dois le succès de MERES-CHEFS parce que j’ai suivi ses conseils.
TPM: Que proposerez-vous au public parisien pendant le festival?
Claudia Haidara-Yoka: Une programmation essentiellement documentaire avec le film REVOLUTIONNAIRE(S) de Hassim Tall Boukambou en ouverture parce que nous rendons hommage à Madame Alice Badiangana, une femme politique congolaise au passé révolutionnaire. Des documentaires forts, dont: une affaire de Nègres de Osvalde Lewat, Floris de Jacqueline Kalimunda et mon Mères-chefs et en clôture, le film La rivale d’Edouard Carrion pour un hommage posthume à l’actrice congolaise Laurentine Milebo qui a fait tellement d’apparitions, de seconds rôles dans le cinéma français sans que son travail ait été salué depuis son décès il y a un peu plus d’un an aujourd’hui. Il y aura une compétition de films courts de fiction tous primés dans des festivals importants y compris aux césars.
TPM: Pourquoi Tazama à Paris ? C’est une délocalisation totale ou c’est juste temporaire?
Claudia Haidara-Yoka: C’est une rétrospective et non une édition pleine. La dernière édition 2016 à Brazzaville a été très difficile à mettre en place. Tazama a été créé pour être délocalisé tous les deux ans sur le continent africain, mais mon attachement à mon pays l’a ancré à Brazzaville. Cette rétrospective va me permettre de jauger mon festival sur l’extérieur et j’aimerais que ce soit un bon moyen de convaincre les décideurs de l’accompagner de manière pérenne sur Brazzaville. Après, il y a des villes françaises qui montrent de l’intérêt pour ce genre d’événements qui sont empreints de diversité culturelle.
TPM : Quel est votre vision du cinéma africain en général ?
Claudia Haidara-Yoka: Je l’ai trouvé, dans les années 80, institutionnalisé, piloté et « télécommandé » avec des sujets récurrents sur la vie au village, les traditions, de vagues « intégrations »… puis, il est devenu plus indépendant avec des sujets d’actualité plus en phase avec la réalité et le quotidien d’un public africain. Je crois que l’arrivée du numérique, des plateformes de distribution de films et de tous les réseaux sociaux a suscité des vocations, libérer la créativité et éviter le circuit des différents fonds existants.
TPM: un mot pour la jeunesse africaine…
Claudia Haidara-Yoka: Les jeunes doivent vaincre par le dialogue, les idées et l’engagement. Les jeunes ne doivent en aucun cas perdre toute illusion et devenir subversifs. Je le dis parce que les réseaux sociaux sont autant de boites de pandore, sources de beaucoup de désinformation lorsque mal utilisés… La jeunesse africaine est extrêmement volontaire et énergique et elle brillera par sa capacité à fédérer.
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