Gérard Essomba Mani : Trophée d’honneur aux Trophées Francophones du Cinéma 2017
« Je propose qu’il y’ait des états généraux de la culture au Cameroun »…
Héritier d’un grand père pendu par les allemands et d’un père, premier journaliste camerounais et maire adjoint de la ville de Yaoundé pendant l’époque coloniale, Gérard Essomba Mani Ewondo, est un acteur à la manière de Buffalo Bill qu’il découvre à 13 ans dans une salle de cinéma à Yaoundé. Il arrive à Paris à la veille des indépendances et entame sa carrière entant que comédien au théâtre radiophonique de Radio France, puis acteur en incarnant des personnages historiques tels que Toussaint Louverture et Malcom x. L’épisode qui marquera à jamais la vie de Gérard Essomba est celui de sa prestation dans la pièce de théâtre « Toussaint Louverture » devant 43 chefs d’Etats dont François Mitterand.
De retour au Cameroun, Gérard irrigue le cinéma national embryonnaire de son enthousiasme, de sa personnalité et de son expérience en jouant dans Le Président de Jean Pierre Bekolo, Live Point de Brice Achille et WALLS de Narcisse Wandji. Aux lendemains de son prix d’honneur reçu dans le cadre de la 5e édition des Trophées Francophones du cinéma tenu à Yaoundé, Gérard Essomba se confie à Tendances People Mag.
Vous venez de recevoir un prix d’honneur aux Trophées Francophones du cinéma. Que représente ce prix pour vous?
C’est un bonheur de recevoir une fois de plus un prix. Même si ce prix ne comble pas ma satisfaction parce qu’il ne s’accompagne pas du chèque qui correspond à ce genre de distinction. Si je mets un accent sur cet aspect c’est parce qu’en principe, une récompense devrait soulager l’artiste qui la reçoit. Les artistes aux Cameroun subissent d’énormes difficultés financières. Ce chèque aurait permis à certains de résoudre quelques problèmes quotidiens. Le décès d’Arthur Sibita dans la misère totale m’a laissé un goût amer. Je ne souhaite pas que cela arrive à un autre artiste. Lorsqu’une grande institution mondialement reconnue comme les Trophées francophones arrive au Cameroun, on suppose que les quelques artistes nominées auront une petite enveloppe qui leur permettrait, de fêter avec des amis et parents. Donc c’est une fausse note que je dénonce dans l’organisation de cet évènement et j’espère qu’aux prochains trophées francophones, le comité directeur rectifiera le tir.
A qui incombait la responsabilité de veiller sur l’aspect récompense financière des Trophées Francophones du cinéma ?
Votre question est très pertinente dans la mesure où c’est au Chef de l’Etat qu’incombe la responsabilité de parrainer un tel évènement, sous la responsabilité du ministère des arts et de la culture. Et là il fallait poser la question à ces messieurs et dames qui viennent exploiter les personnes naïves que nous sommes. Parce que lorsque quelqu’un reçoit un pareil prix il s’attend à ce qui l’accompagne. Voyez-vous ils auraient quand même fait un petit effort dans ce sens. L’Etat camerounais leur a offert un plateau constitué des espaces de déploiement, de la salle du palais de congrès, de tous ces journalistes, des musiciens qui ont offert des prestations etc. tous ces gens s’attendent à ce qu’il y ait quelque chose à la clé. Il fallait accompagner chacune de ces prestations par une petite paye. On est enclin à se demander pourquoi les fonctionnaires en charge de cette organisation n’ont pas discuté de cet aspect avec le bureau des Trophées Francophones du Cinéma?
Il y’a quelques années vous reveniez de la France où vous avez passé presque toute votre vie. Qu’est-ce qui a motivé votre retour au Cameroun ?
J’ai toujours pensé revenir au Cameroun, l’on ne devrait en aucun cas renier ses origines. Ma femme est de race blanche il fallait quand même que je l’emmène dans la terre de mes ancêtres. Mes petits enfants sont presque blancs, il était également temps qu’ils connaissent cette culture qui est la leur également. J’avais aussi cette envie de retourner là où tout à commencé. Car la première fois que j’ai été au théâtre c’était ici à Yaoundé. Je me suis toujours juré qu’en revenant au Cameroun, je créerai un centre de formation pour pouvoir transmettre tout ce que j’ai appris à mes pairs, aux jeunes et ainsi contribuer au développement du théâtre et du cinéma au Cameroun. C’est ainsi qu’à mon retour il y’a quelques années, j’ai mis sur pied la « Mani School drama », un projet qui avait pour objectif de promouvoir le théâtre dans les régions mais malheureusement ce projet n’a jamais vu le jour car le budget voté et validé par le Ministre de la culture, Madame Ama Tutu Muna, qui s’élevait à la somme de 78 millions de FCFA, ne m’a jamais été remis.
Pensez vous qu’il y ait une politique culturelle au Cameroun ?
Pour être sincère je dirais non, le Cameroun n’a pas de politique culturelle. Le fait de montrer quelques danses folkloriques à chaque fois qu’il y’a un évènement culture ne pourrait être considéré comme une politique culturelle. A chaque évènement culturel, on a l’impression que tout est improvisé. Les choses vont dans tous les sens. Prenons le cas du droit d’auteur au Cameroun il règne une telle cacophonie qu’on en perdrait la tête. On pense souvent qu’en faisant danser quelques pygmées venus de Kribi ou de Lolodorf, devant des ministres bien habillés qui ne réagissent même pas au spectacle, on représente l’unité nationale. Prenons encore le cas des Trophées Francophones du Cinéma qui se sont tenus il y’a quelques jours, il est inconcevable qu’un tel évènement ait pu se faire au Cameroun et que le public ne soit même pas informé. C’est terrible de savoir qu’ici dans mon village, Mvog Ada, il y’ait une dizaine de bistrot sur un rayon de 50 mètres. Si on ajoute à cela l’indifférence des pouvoirs publics dans la chose culturelle, l’absence des salles de cinéma et d’une convention collective qui régissent les métiers artistiques, cela me pousse à dire non, il n’existe pas de politique culturelle au Cameroun.
Face à cet état de chose, quelles propositions apportez-vous pour améliorer la situation ?
On me reproche généralement d’être une grande gueule et moi je réponds, lorsqu’on n’a rien dans les poches, rien dans la tête on s’en met plein la gueule ! La culture est dans une situation très ambigüe comme la danse bafia vous savez : on avance on recule…Il faut que le chef de l’Etat puisse s’impliquer. Et pour qu’il participe, il faut que les deux assemblées qui sont d’une part l’assemblée nationale qui vote les lois et le sénat qui entérine les lois votées par l’assemblée nationale et qui représente le peuple camerounais dans toute sa mesure, puissent accorder un intérêt en adoptant des lois qui régissent la culture. Parce qu’il faut le dire, ce n’est pas autour d’un ballon de football qu’on va faire l’unité du Cameroun. C’est d’abord au niveau de la culture.
Quand j’invoque l’implication du chez de l’Etat, il s’agit de sa présence physique aux évènements culturels. Si par exemple, le Chef de l’Etat fait l’ouverture d’un festival de cinéma comme les Ecrans noirs, cela donnera une grande envergure à l’évènement. A supposer que l’autre soir au Palais des Congrès, au lieu que Denise Epoté que ce soit le chef de l’Etat qui m’ait remis le trophée, ç’aurait été un bonheur. Quelqu’un m’a dit un jour que le Cameroun est le poltron culturel en Afrique. Et moi je dis oui c’est vrai. Parce que dans d’autres pays comme le Burkina Faso, le chef de l’Etat se rend au FESPACO. Il y passe des heures à regarder des films en compagnie des acteurs. Pensez vous ne serait-ce qu’un ministre camerounais puisse s’assoir avec Gérard Essomba sans qu’il y ait ses gardes de corps tout près ? Or la culture c’est le ciment de l’unité de la nation. Prenons encore le cas de ma prestation dans la pièce de théâtre « Toussaint Louverture », devant 43 chefs d’Etats, savez vous que le mien n’était pas présent ? Cela m’avez rendu tellement triste heureusement qu’en comédien averti je n’ai pas oublié mes répliques devant une telle déception. C’est toujours le même reproche qu’on fait à notre chef de l’Etat aujourd’hui encore. Si on passe outre, on va vers la catastrophe. Alors il faudrait que le ministère des arts et de la culture sensibilise le chef de l’Etat sur l’importance de son implication aux évènements culturels de ce pays.
Je propose également qu’il y’ait des états généraux de la culture comme cela a été fait en 1991. Se sont réunis à cette époque, au palais des congrès, près de 1000 personnes venus de la diaspora, et du Cameroun. Pendant une semaine, ces personnes ont épilogué sur la situation culturelle du Cameroun. J’en faisais partie. Mais malheureusement, toutes les résolutions prises au cours de ces états généraux n’ont fait que gonfler les placards de nos pouvoirs publics. En ce jour rien n’a changé. Je propose une fois encore ces états généraux et croise les doigts pour que cette situation change.
Entant que doyen de la culture, quelles sont vos rapports avec le Ministère des Arts et de la culture ?
Avant de répondre à cette question j’aimerai revenir dans l’histoire pour poser la question de savoir qu’est-ce qui a motivé l’Etat à choisir cette bâtisse qui héberge le ministère des arts et de la culture ? Parce que cette bâtisse porte en elle une lourde charge du passé colonial au Cameroun. Je dirai même qu’il existe encore les fantômes de cette époque dans cette structure. Personnellement si on m’avait demandé mon avis j’aurais dit non au fait de loger le ministère des arts de la culture dans cet immeuble. Je m’explique, cet endroit était la résidence des hauts commissaires coloniaux de l’époque. Il renferme donc les fantômes coloniaux qui aujourd’hui sont remplacés par nos propres frères. Et c’est ce qui est à l’origine de cette politique morbide qui n’apporte rien de positif à notre situation.
Revenant maintenant à la question, je dirais que les rapports avec le ministère des Arts et de la culture ne sont ni bons ni mauvais. J’aurais bien pu être conseillé du ministre et même du président en matière de cinéma mais hélas ! Pour eux, être conseillé signifie être un universitaire ce que je ne suis pas. Mais personnellement, le ministre et moi n’avons pas de problème particulier j’apprécie d’ailleurs sa poésie.
Pensez vous qu’il puisse exister un marché pour le cinéma camerounais ?
Je dirais, dans la mesure où il n’existe déjà pas de véritables productions cinématographiques, il n’existe pas de marché cinématographique au Cameroun. A l’époque où il y’avait encore des salles de cinéma, les productions indépendantes pouvaient rentrer dans leur fonds rien qu’avec les projections. Le public était ainsi nourrit de son cinéma. La situation est devenue plus alarmantes avec la fermeture de ces salles. Par ailleurs, le fait que les projets ne soient pas soutenus financièrement, rend encore plus difficile, voire impossible la compétitivité et donc le marché. Prenons le cas d’un film camerounais dans lequel j’ai joué qui s’intitule « Life point » d’Achille Brice, s’il avait été soutenu, ce film aurait remporté plusieurs prix notamment au FESPACO où il a été nominé dans la catégorie meilleure film. Pourtant ce film rencontre une très belle histoire d’amour entre un Vieil homme et une jeune fille. Il a été entièrement tourné à Buea et c’était une belle collaboration entre francophone et anglophone. Je pense même que ce film aurait participé à la résolution du problème anglophone et francophone que l’on vit actuellement.
Quel bilan faites-vous de votre parcours artistique ?
A titre de rappel, je suis parti du Cameroun à l’âge de 19 ans et je suis revenu étant un vieil homme. Parmi les choses que je regrette le plus c’est d’avoir perdu la connaissance de ma langue maternelle heureusement que depuis quelques années je réapprends petit à petit. En 50 ans vécus en Europe, j’ai surtout appris que le métier d’acteur est l’un des plus beaux métiers du monde. Juste après le décès de mon père, ma mère m’a acheté un billet de bateau dans lequel j’ai mis 21 jours pour arriver à Marseille. Une fois en France, la première personne que je rencontre c’était Ambroise Mbia, mon ancien camarade de classe et c’est lui qui m’a orienté vers le cours de théâtre où au bout de 2 mois j’ai été choisi pour jouer dans une pièce de Jean Paul Sartre. Quelque temps après j’ai incarné le personnage de Malcom x. le bilan de ma carrière, à mon avis est positif. J’ai commencé tôt, j’ai parcouru le monde, j’ai joué dans plusieurs pièces de théâtre et films, j’ai remporté des prix, j’ai rencontré des présidents et aujourd’hui je partage avec mes pairs le fruit de mon expérience.
Quel conseil pouvez-vous donner à la jeune génération ?
Personne n’est le modèle d’exemple. Nous avons tous nos facultés. On a des hauts comme on a des bats. Je conseille à tous nos cinéastes d’apprendre, de travailler d’avantage, d’aller dans des centres de formations. Hélas ce que je constate au Cameroun c’est la prolifération des centres de formation d’arts et d’audiovisuels avec des enseignants dont on ignore les références et le cursus académique. Ces personnes là qui s’autoproclament enseignants et dispenses de fausses informations aux jeunes. Le ministère des Arts et de la culture devrait réglementer la création des centres de formation en s’assurant du niveau de connaissances des enseignants ou en laissant aux personnes les plus qualifiées, le soin de former les jeunes.
Entretien mené par Michèle Ntédé