FIPA 2014 : Rwanda : l’enquête manipulée de Catherine et Philippe Lorsignol
Journalistes d’investigation pour la RTBF et déjà auteurs de films sur le Rwanda, Catherine et Philippe Lorsignol étaient à Biarritz, au FIPA 2014, pour présenter leur dernier documentaireRwanda : l’enquête manipulée. Contrairement aux autres films en compétition, le leur n’est passé qu’une fois, la RTBF l’avait déjà programmé, de même que Canal+ , en août 2013 vers minuit…
L’enquête que le couple Lorsignol déclare manipulée, est celle que le juge antiterroriste français Bruguière a menée entre 1998 où il en a été chargé et 2006 où il rend ses pré-conclusions sur les responsabilités de l’assassinat du président rwandais Habyarimana, à Kigali le 6 avril 1994 , qui sonna le départ du génocide de 800000 êtres humains, en majorité Tutsis et l’exil de 2 millions de Rwandais. Ces conclusions accusent les Tutsis d’avoir tiré les missiles contre le Falcon du président à son arrivée à Kigali et, ce faisant, disculpent le gouvernement français pro-Hutu…et qui fut, ensuite, le seul à reconnaître le gouvernement génocidaire, à recevoir ses représentants à l’Elysée, et à continuer à lui livrer des armes.
Quelques rappels troublants : le jour de sa mort, le président Hutu rwandais, Juvénal Habyarimana, sortait d’une négociation difficile en Tanzanie dans le cadre des accords de paix d’Arusha. Sous la pression de l’ONU, il avait consenti à partager le pouvoir avec le FPR de Paul Kagamé représentant la minorité Tutsi et il allait devoir le faire accepter à la branche ultra de son propre clan. Les pilotes français du Falcon présidentiel furent tués dans le crash ; aux familles qui s’inquiétaient des circonstances de leur mort, le ministère de la Défense répondit : « il n’y a pas eu d’enquête de faite… » et leur conseilla d’abandonner les recherches. En 1998, les familles se décident, pourtant, à porter plainte. A quel moment le juge entreprend-il ses investigations ? Toujours est-il qu’en 2006, il rend ses pré-conclusions et clôt l’enquête. Pendant ces 8 ans, il ne s’est jamais rendu au Rwanda, ni pour consulter les sources ni interroger les témoins. Mais, entre-temps, il s’est engagé en politique avec l’UMP dans l’espoir d’être nommé Garde des Sceaux dans le nouveau gouvernement de 2007. Le juge Trévidic, qui le remplace, fera le premier voyage sur le terrain.
Simultanément d’autres éléments se sont faits jour. Les Lorsignol, en habitués de Kigali, sont aux premières loges. En divulguant les résultats d’une expertise qui anéantit les certitudes du juge français, ils l’accusent d’avoir manipulé son instruction. La raison d’état aurait-elle étouffé la vérité sur cet attentat ?
Pourquoi cet acharnement à rechercher la vérité ? « Les belges ont beaucoup à voir dans ce pays » dit Catherine, « et la Belgique a présenté des excuses au Rwanda, pas la France ». Passons sur la colonisation allemande puis belge, passons sur la destruction des arcanes de la société par les Pères Blancs qui exportent leurs dissensions Flamands / Wallons au bénéfice des Hutus / Tutsis provoquant des massacres de Tutsis à partir de 1959. Mais, revenons sur la mort des 10 paras belges, casque bleus de l’ONU, fusillés le 7 avril 1994, le lendemain de l’attentat, en même temps que la première ministre (Hutue modérée) du futur gouvernement qu’ils devaient protéger. Et n’oublions pas que la presse fit porter aux belges la responsabilité de l’attentat dans les jours qui suivirent. C’est compter sans les enquêtes menées par leur propres représentants au lendemain du crash.
Le film avance à grande vitesse, renversant tout sur son passage. Les auteurs, se font un devoir, une jubilation même, de déboulonner, les arguments du juge, l’un après l’autre, à coup de documents et de témoignages. On découvre les enjeux. On revit les événements racontés par les témoins qui souvent, parlent pour la première fois. On ressent l’atmosphère de haine exacerbée par la toute puissante Radio des Mille Collines, à partir de juillet 93 et jusqu’à la fin du génocide en juillet 94, on pénètre dans l’obscurité du volcan, où tous les coups sont permis, faux communiqués, fausses pièces à conviction, fausses déclarations, trous de mémoire, déni de toutes sortes, déploiement de mensonges, dissimulation, écran de fumée à l’aune des conséquences effroyables des misérables montages politico-ethniques des forces en présence.
Galerie de personnages, casting 5 étoiles : on croise des veuves, des journalistes, des experts, des militaires, des espions, et même un ex-ministre français frappé d’amnésie qui déclare les yeux dans la caméra : « Honnêtement, je ne me souviens plus … ». Au cœur du maelström, une star, un personnage omniprésent, placé par le président Mitterrand auprès de son homologue assassiné, trop agité pour rester dans l’ombre, l’ex-capitaine Paul Barril, l’éternel ludion.
La folie des hommes dépasse la fiction, Catherine et Philippe Lorsignol s’attaquent à un des plus atroces épisodes de notre histoire récente et construisent un récit qu’aucun auteur de polar n’aurait osé imaginer, rendant l’oubli impossible. Alors que la France va juger, 20 ans après, et pour la première fois, un ancien capitaine rwandais accusé de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité, la passionnante relecture des événements qui nous est proposée est décidément plus que nécessaire.
Michèle Solle source Clap Noir
Rwanda l’enquête manipulée, 2013, 52’
Réalisation : Philippe Lorsignol
Scénario : Catherine Lorsignol
Image : François Ducobu, Robin Baudour, Tristan Galand
Son : Benoit Goffin
Montage : Jerome Tinck, Julien Contreau
Production : AT-Production, Belgique. Coproduction : RTBF
Contact : info@at-doc.com