Issa Serges Coelo: « La France a perdu de sa superbe »
A la veille de la grande messe cannoise, Issa Serge Coelo nous parle de la diffusion des films français au Tchad. Réalisateur de Un Taxi pour Aouzou, Daresalam et Tartina city, il a repris la gestion du cinéma le Normandie à N’Djamena. Investi dans ce projet depuis 3 ans, le cinéaste tchadien revient sur l’état du cinéma, aujourd’hui, dans son pays.
Sur quel modèle économique dirigez-vous le Normandie ?
Je gère les activités du Normandie à travers ma société. Je suis mandataire et contractuellement, je paie un loyer en location-gérance. Je partage une partie des recettes avec le Ministère de la Culture et les distributeurs de films. J’ai un contrat à respecter avec une mission et des objectifs : renouer les n’djaménois avec le grand écran séparés par 30 années d’absence.
Le Normandie a réouvert le 1er décembre 2011, une école de cinéma en projet d’Haroun a eu l’aval des autorités, on pointe vers une renaissance mais là où le bas blesse, c’est que le fond de production cinématographique qui a été crée sur la base d’une redevance ponctionnée sur la téléphonie mobile, tarde à prendre place.
Et ça ce n’est pas encore gagné.
A l’image du CNC
Le CNC est une petite horloge qui tourne à merveille. La politique cinématographique française est exemplaire. Maintenant il faut l’adapter à notre pays comme le Maroc est parvenu à le faire grâce à Nouredine Sail, un visionnaire du cinéma africain.
La France essaye de se maintenir…
Oui mais elle a perdu de sa superbe. En fait les français sont tellement dépassés par leurs problèmes intérieurs qu’ils ne trouvent plus le souffle nécessaire pour se réoxygéner. Il faut que le système se reconstruise à l’africaine car il était dans les mains de la France auparavant. Nos films sortent dans les festivals européens ou dans les salles mais pas ici. Un jour on te met en haut de l’échelle, le lendemain on te remplace, ce n’est pas de cette manière qu’il faut faire les choses ou les accepter.
En tant qu’exploitant, êtes-vous aidé dans le cadre de la diffusion à l’international du cinéma français ?
C’est assez compliqué. Il faut savoir que maintenant, le public tchadien et même d’ailleurs sur le continent ne voit plus les films français. Avant, tout le monde connaissait les acteurs français, maintenant qui connaît Kassovitz, ou Dupontel, Bonnaire ou Perrin ? La France via l’Institut français ne nous incite pas à programmer des films français car les droits sont trop élevés. Ils sont aussi chers que si vous exploitiez le film en Europe.
Il y a bien Unifrance qui est un organisme de promotion du cinéma français mais ça s’arrête là. Les gars vont vous mettre en contact avec le distributeur du film et c’est tout. Pas d’appui financier à la diffusion des œuvres, ni de proposition de relance du cinéma français sur le continent. En fait, je ne comprends pas leur politique et je crois aussi qu’ils ne comprennent plus l’Afrique. Ils sont figés sur un des sempiternels apriori acquis de longue date avec le continent. Ils font encore fausse route. Mais pas les américains.
Maintenant que nous avons réouvert le Normandie, j’exploite la salle avec des films majoritairement des studios hollywoodiens. Le cinéma français, à part dans le réseau des Instituts français, ne circule plus en Afrique. Je pense qu’ils n’en n’ont rien à faire, c’est dommage.
Quels sont les films qui attirent le public ?
Les publics africains sont différents d’un pays à l’autre. On ne va pas programmer les mêmes films à Abidjan ou ici à N’Djamena. Les films sujets au thème de l’homosexualité, ou les films sans un méchant « très méchant » n‘intéresseront pas ici. Les films d’auteurs purs et durs ou contemplatifs comme ceux d’Abderrahmane Sissako non plus. Mais ça c’est bien particulier à N’Djamena.
Le public préfère les séries TV et nous les réclame sur grand écran. Mais nous ne pouvons gérer ce genre où les droits pour le cinéma n’existent pas. Mais il faudrait y penser car il y a un public potentiel important. Le foot est important dans ma programmation. C’est un produit d’appel fort pour ceux qui ne connaissent pas encore le grand écran.
Quelle est votre principale difficulté ?
Les autorités qui ont en charge la culture ou la communication voyagent sans cesse. Ils voient comment fonctionne le système audiovisuel chez les autres. Ils ne s’en inspirent pas pour améliorer leur politique. Notre principale difficulté est que la télévision nationale ne joue pas son rôle de producteur ou de coproducteur.
On produit beaucoup pour l’information, mais des documentaires, des fictions il n’y en a pas. Que faut-il faire pour la fiction, ils le savent très bien.
La problématique de la vie quotidienne des gens, on en parle pas dans la télévision nationale. On confond télévision publique et télévision d’État. Eux ils ont l’ambition de tout faire ; produire, programmer et diffuser. Il faut des acteurs externes pour avoir des programmes. C’est une des réponses pour que le cinéma tchadien se hisse à un niveau meilleur.
Il y a des chaînes privées
Oui, maintenant il y 2 chaînes privées dont une qui est la copie de la chaîne d’État. Quand on va sur les bouquets satellites africains, c’est le même schéma partout. À part quelques chaînes privées, elles ressemblent toutes à des chaînes d’États.
Y a t-il l’émergence d’une production locale ?
Il n’y a pas de production car ils ne veulent pas nous donner l’argent pour produire. On a mis en place une redevance audiovisuelle sur la téléphonie mobile. Il y a 10 FCFA [1] par jour récolté par consommateur, il faut savoir qu’à N’Djamena, il y a 3 opérateurs donc les gens ont 2 voir 3 cartes sims par téléphone portables ! Cela fait qu’à la fin du mois, on paye en moyenne 300 FCFA par sims actives, cela représente 8 à 10 milliards par an. On s’est battu pour qu’il y ait une partie qui aille à la production cinéma TV, une partie en droits d’auteurs et une partie pour la presse. On leur a dit que nous souhaitions produire mais c’est eux qui préfèrent le faire.
Ça existe depuis 3 ans et nous sommes les seuls à avoir fait ça, cela fait des envieux chez nos voisins. Et c’est une idée qui peut se transposer ailleurs.
Votre mot de fin
Bravo au Sénégal pour la nouvelle politique en faveur de son cinéma. Si au bout de 50 années de cinéma africain je ne vois encore que les prémices d’une prise de conscience des États c’est déjà beaucoup. On dit d’un occidental qu’il a une montre mais d’un africain qu’il a le temps.
Propos recueillis par Benoît Tiprez-Clap Noir