Pour les besoins du métier, Fatou Touré s’est rebaptisée Fate Touré. Après 13 ans de podiums de défilé de mode, Fate a décidé de ranger les talons pour se consacrer à ses affaires personnelles. Longtemps parmi les reines des T en Côte d’Ivoire, elle a pris langue avec le mannequinat à 12 ans au cours d’un défilé d’ados. Mais la révélation arrive en 2004 quand Alphadi la fait défiler pour l’ouverture de sa boutique au Plateau. « Je passais un jour devant sa boutique au Plateau immeuble Jeceda, il a envoyé un de ses collaborateurs m’appeler. ‘’Je veux que tu défiles pour moi demain pour l’ouverture de ma boutique à Abidjan’’, me dit-il. J’étais dispo et on a commencé automatiquement les essayages. Je n’ai pas vraiment fait de casting en tant que tel », révèle Fate. Après, ça ne s’est plus arrêté jusqu’en 2017 où elle se fait plus discrète pour les défilés. Rencontre avec une jeune fille ambitieuse qui a marqué le mannequin ivoirien voire africain pendant plus d’une décennie.

13 ans après, quel bilan fais-tu de ta carrière de mannequin ?

Positive, je dirai. Je suis heureuse d’avoir fait le mannequinat. Je ne regrette rien du tout. Si c’était à refaire, je le referai. Ça a été une belle aventure et un bon tremplin pour moi. Je suis la seule fille d’une famille de six frères. J’étais très regardée, très surveillée par mes parents. Je ne pouvais pas faire un pas sans leur avis. Grâce à la mode, je crois qu’ils m’ont laissée un peu m’épanouir si je peux le dire comme ça (rires). J’ai rencontré aussi des gens formidables dans ce milieu. Que ce soient des mannequins ou des stylistes. Ça m’a permis de beaucoup voyager à travers le monde et de connaitre d’autres personnes.

Fille unique d’une fratrie de six gosses dans une famille musulmane. Quelle a été sa réaction quand tu voulais défiler ?

J’ai commencé à 12 ans. J’étais à un arrêt de bus quand une dame, Mme Zeinab Diomandé s’est approchée de moi pour me dire que j’étais très mignonne et qu’elle avait un défilé pour enfants. Je lui ai fait savoir que je voulais bien mais mes parents n’allaient pas accepter. Elle m’a dit qu’elle ira voir mon père. Je lui ai dit comme ça ‘’alors là, ce n’est même pas la peine. Papa est très musulman et il dirige même la prière’’. Mme Diomandé est quand même passée voir mon père. Qui m’a demandé si je voudrais défiler et je lui dis oui. Il m’a dit : « Bèh, vas-y alors ». Ce qui m’a surprise. Si papa a accepté, mes frères se sont carrément opposés prétextant que la mode n’était pas un bon milieu. Mais c’était un truc pour enfants et mon père m’a accompagnée au défilé. Quand à 16 ans, j’évoque mon envie de défiler, toute la famille s’est opposée. Même les voisins sont venus dire à mon père de ne pas me laisser faire le mannequinat car c’est milieu pourri. Mon père a dit à tout le monde qu’il sait ce que sa fille est capable de faire et ce qu’elle ne peut pas faire.

Aujourd’hui, tu es toujours mannequin ou bien tu as passé le pas ?
- Je ne l’ai pas annoncé de façon officielle. Il y a des stylistes qui continuent de m’appeler pour défiler et je leur dis que je ne défile plus. Certains sont frustrés.

Donc, c’est fini les T ?

Oui ! J’ai arrêté tout ce qui est défilé, walking… Je continue juste les photos, shooting pour les publicités et les catalogues… Il y a deux ou trois ans que j’ai arrêté les défilés. Je me suis dit qu’à un moment donné, il faut laisser la place aux jeunes. Surtout qu’avec mes nouvelles occupations, je n’ai vraiment plus le temps de faire des défilés.

. C’est quoi, ces nouvelles occupations ?
- Maintenant, je suis chef d’entreprise. Avant, je travaillais pour des ministères et des sociétés privées où j’étais chargée de relations publiques. En 2013, j’ai créé ma propre structure. De par ma formation, j’ai une maîtrise en communication et donc, je me suis lancé dans tout ce qui est communication. Je suis aussi dans le bâtiment comme mon père. J’accompagnais papa sur les chantiers. Du coup, j’étais passionné par tout ce qui est construction, décoration d’intérieur… J’ai donc monté EFTY Group, une entreprise à trois entités totalement autonomes : Efty Communication, Efty Immobilier et Efty Services. EFTY, c’est juste les initiales en anglais de Fatou Touré (FT).

 On t’a vue maitresse de cérémonie à certains évènements…Est-ce ce volet de la com’ que tu as choisi ?

Ma formation de base est le journalisme. Et ma passion, c’était la présentation du journal. Mais depuis que j’ai entendu dire que le métier n’est pas bien rémunéré, ça a freiné mon élan car je viens de la mode où on n’était pas bien payé. Je me suis dit que je ne pouvais pas aller encore dans un métier où je ne serai pas bien ‘’gérée’’(rire). J’ai donc pensé à créer ma boîte et plus tard produire des émissions et des PAD. On m’a aussi contactée pour présenter des émissions télé mais j’ai décliné l’offre. Je suis en train de m’organiser pour asseoir ma structure de production. Effectivement, il y a eu des organisateurs d’évènements de mode et des institutions qui m’ont sollicitée pour présenter leurs manifestations. Dans le temps, j’avais même demandé à Yves de Mbella de Radio Nostalgie d’être son assistante quand il présente les cérémonies pour voir comment il prépare ses présentations pour les grands évènements car c’est quelque chose qui me passionne. Quand j’ai eu l’occasion d’être contactée pour une présentation, je n’ai pas hésité. J’ai dit oui. Et depuis un moment, j’ai commencé à présenter certains grands événements.

Il parait que tu produis déjà une émission télé. Qu’en est-il ?

Effectivement, on est en train de préparer une émission télé. On a déjà fait des pilotes. On a aussi contacté certaines structures et nous sommes en train de peaufiner le projet.

Au dernier Fespaco à Ouagadougou, on t’a vue dans un téléfilm comme actrice…

Oui, on dira que j’ai beaucoup de cordes à mon arc (rires). C’est le réalisateur Alain Guikou (Brouteurs.com, ndlr) qui m’a confié un grand rôle dans son film. J’avais des appréhensions. Après j’ai essayé de lire le scénario et de rentrer dans le personnage qu’il m’a attribué. Apparemment, ça a marché. C’est mon premier film et il a été sélectionné pour le plus grand festival du cinéma du continent. C’est une série télé avec plusieurs histoires. Chaque histoire a son scenario avec des personnages différents. La série s’appelle ‘’Les coups de la vie’’ tirée du roman éponyme d’Anzata Ouattara. Après cette série, j’ai été sollicitée par Alex Ogou qui a réalisé la série ‘’Invisibles’’ pour un autre grand film.

Comment t’en sors-tu avec ses nombreuses casquettes ?

C’est vrai que ça commence à faire trop. Ce qui est intéressant, c’est qu’à la base, je n’aime pas m’ennuyer. Je commence mes journées très tôt et je finis à minuit. Ça me plait comme ça. J’aime bouger, remplir mes journées… J’ai un cercle très restreint d’amis. Et on ne se voit pas tout le temps. Du coup pour meubler mon temps, je suis avec ma famille ou je travaille. Je trouve donc sympa de faire plusieurs choses à la fois. Pour mon entreprise, j’ai un personnel qui est à chaque entité. Ils n’ont pas besoin de moi tout le temps. Le cinéma et la présentation d’évènements, ce n’est pas tous les jours. C’est ce qui fait que c’est gérable.

Qu’est-ce qui t’a marquée pendant ta carrière ?

Dans le mannequinat, quand on n’est pas fort d’esprit, on ne peut pas tenir. Quand tu arrives dans le milieu, les devanciers se moquent de toi car tu n’as pas la chaussure, le jean ou le tee-shirt qu’il faut. A l’époque, moi, je venais d’Adjamé et mes ainées riaient des nouveaux arrivés. Certaines de mes camarades se sont découragées et ont abandonné. Moi, j’ai décidé de tenir car j’étais assez ambitieuse. Je savais que chacun a eu un début. J’ai persisté et je m’en suis sortie. Aujourd’hui, ce sont elles qui me cite en exemple. Mais en dehors de ces cas regrettables, c’est un milieu formidable. Les mannequins sont pratiquement mes frères et sœurs. Pareil pour les stylistes. Certains comme papa Pathé me donnent beaucoup de conseils. C’est un milieu qui m’a beaucoup apporté. On est vu dans les magazines et cela nous ouvre les portes. Mais il faut aussi faire très attention. Car dès qu’on est vu, tout le monde te veut et les dragueurs fussent de partout. Il y en a qui font tout pour avoir ton numéro. Certains viennent garer juste après le défilé et propose de te déposer chez toi. D’autres t’invitent à prendre un verre ou partager un repas…

Tu as une fois cédé ou comment as-tu fait pour résister ?

Ce qui a fait ma chance, c’est que j’avais trop peur de mon père. Parce qu’au moindre faux pas, il m’interdisait les défilés pour toujours. Alors, je faisais très attention à tout ce que je faisais. A mes débuts dans le milieu, c’est mon père qui venait me chercher après les défilés. Je suis la seule fille de ma famille et à l’époque elle me disait que je devais rester vierge jusqu’au mariage. Tellement, on pompait l’air avec cette phrase que j’ai fini par en faire une leçon de vie jusqu’à ma majorité. Ma mère m’a dit ceci : « une femme n’a que son corps et donc, tu ne peux le vendre ». Ce qui m’a fait éviter beaucoup de chose. Il y a aussi que je suis très ambitieuse. A un moment donné, je voulais faire de la politique. Il me fallait donc conserver une bonne image. Il ne faudrait pas que je me salisse. Du coup, je m’efforçais à faire des choses bien.

As-tu été une fois confrontée à une proposition indécente ?

Oui ! Je suis timide mais je suis dure de caractère. A l’époque, j’étais commerciale pour une entreprise qui vendait des maisons. Une fois dans un bureau, le client, avant de signer le chèque, m’a demandé combien je veux dessus. Et il ne s’est pas arrêté là. Il est passé derrière moi et a mis la main sur le cou. Je me suis levée et je l’ai cl*qué. J’ai commencé à crier. Son assistante est entrée dans le bureau. Un autre de ses collaborateurs aussi. J’essayais d’expliquer son geste dans la panique et il était là tout honteux. C’était une personnalité du pays. Elle a dit que c’était plus affectif qu’autre chose. Qu’elle voulait dire que j’étais une bonne fille…pfff… J’ai déchiré son chèque et je me suis échappée.

Et la cigarette, la drogue ?

Je n’en ai jamais touché. On n’en a pas besoin pour évoluer.

Avec un peu de recul, comment juges-tu le milieu aujourd’hui ?

Ce que je trouve dommage, c’est que malgré nos efforts pour relever la barre, le secteur n’est toujours pas bien organisé. On ne trouvait pas correct qu’il y ait trop de charges autour d’un défilé pour le mannequin, et qu’il ne puisse pas avoir le minimum de ce qu’il a dépensé. On avait mis en place une association qui exigeait un montant pour le cachet, qu’on paie les essayages, qu’on ne nous impose pas les chaussures… Certains étaient d’accord. D’autres passaient par derrière pour voir les organisateurs et partaient défiler. Il faut savoir ce qu’on cherche dans ce qu’on fait. A mes débuts, je venais avec ma tenue d’école pour passer les castings. Je n’avais pas honte. Il y a des filles qui riaient et me disaient : « toi-là, tu aimes école hein ». Dans mon for intérieur, je me moquais aussi d’elle en demandant si aimer l’école était un défaut. Car, après le mannequinat, on fait quoi ? Dans le milieu, il y a trop d’hypocrisies. Les mannequins ne s’entendent pas pour constituer un maillon dur. Les cachets ne peuvent pas grimper car quand un refuse un montant, l’autre l’accepte. Ce qui est bien dommage. Il suffit de faire un noyau. C’est difficile sans union et je ne sais pas comment les mannequins vont s’en sortir s’ils ne s’unissent pas.

Quel conseil donneras-tu à une jeune fille qui veut être mannequin ?

Si elle veut vraiment en faire une profession, je vais lui dire de se former et d’essayer d’aller en Occident ou en Orient. En Afrique subsaharienne, elle ne peut pas vivre du mannequinat. Ce n’est pas possible. Ou bien, elle apprend un métier et travaille. Et le mannequinat vient comme un passetemps.



Et quand comptes-tu te caser ?

(Rires). C’est l’éternelle question de mes parents ! Je vais me marier bientôt… Le problème en Afrique, c’est que les hommes n’aiment pas les filles indépendantes. Ils préfèrent les femmes qu’ils peuvent contrôler et tout. J’ai eu des propositions de mariage et à chaque fois, on me disait : « dès qu’on se marie, tu arrêtes tout ce que tu fais. Tu restes à la maison. On va faire les enfants. Tu vas t’en occuper et la maison ». Ce qui est hors de question chez moi. Je ne peux pas rester à la maison quels que soient les moyens que mon époux me donne. Si je reste à la maison, ça va étouffer mon épanouissement, mes rêves… J’aime aller sur les chantiers. Ça ne me gêne pas de partir acheter du bois même à Abobo, discuter avec les vendeurs…. C’est ce qui me plait, me battre au quotidien pas vivre au crochet d’un homme, non.