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Ardiouma Soma : « J’ai foi en l’avenir des cinématographies du continent africain »

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Il y a quelques semaines, le délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) était à Yaoundé pour prendre part à la 23ème édition des « Ecrans noirs ». Nous en avons profité pour parler, entre autres, de l’émergence des cinémas africains et des obstacles qu’ils rencontrent. Pour Ardiouma Soma, le continent doit prendre conscience que le cinéma est un bien économique et qu’il doit être structuré et géré comme tel. Entretien…

Qu’est-ce que ça vous fait d’être à Yaoundé pour la célébration de la 23ème édition du festival « Ecrans noirs » ?

J’ai beaucoup de plaisir à être ici, au festival de cinéma et d’audiovisuel du continent africain, d’être là et de rencontrer beaucoup de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel du continent, d’être là et de rencontrer cette jeunesse camerounaise fougueuse, qui s’empare véritablement de l’outil numérique pour s’exprimer. J’ai aussi la chance d’être là et de voir des films en présence des auteurs, des publics formidables et de pouvoir également participer à différentes rencontres entre professionnels pour le renforcement des capacités des jeunes cinéastes, pour poser les problématiques liées au développement de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel sur le continent. Bref, c’est un bonheur d’être présent à ce moment de partage qu’est le festival Ecrans noirs de Yaoundé.

Y a-t-il des films qui aient particulièrement attiré votre attention ?

Oui, j’en ai découvert. En même temps, j’ai la chance, avec ma position de délégué général du Fespaco, de voir passer beaucoup de films. Je suis au courant des situations cinématographiques du continent. Néanmoins, je découvre. Un film que j’ai vu au festival de Carthage ou de Ouaga, je le revois à Yaoundé sous une autre perspective. Néanmoins, j’ai eu la chance de découvrir des films ici pour la première fois, et ils me rassurent dans l’idée que nos cinémas sont en train d’avancer. Certes, ce ne sont pas des grands pas comme on le souhaiterait, mais ce sont des petits pas qui se consolident au fur et à mesure. Et, j’ai foi en l’avenir des cinématographies du continent africain.

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Lors des rencontres professionnels du secteur du cinéma, il y a une problématique qui revient toujours, c’est celle de la distribution. Comment pensez-vous que le continent puisse trouver la bonne formule pour venir à bout de cette préoccupation ?

Je pense que nous avons une industrie du cinéma et de l’audiovisuel en construction, parce que la plupart de nos cinématographies ont commencé vers la fin des années 50, période pendant laquelle le cinéma a été utilisé comme une arme de combat. Le combat des cinéastes était donc de se battre pour produire des œuvres qui apportent une contribution à la libération des pays du continent, encore sous le joug colonial, pour travailler à la promotion des identités culturelles, pour travailler à l’unification des populations africaines, etc. Donc, c’était simplement des combattants et quand ils sortaient une œuvre, l’essentiel pour eux c’était de la montrer. Mais, je crois qu’aujourd’hui nous sommes conscients de la dimension économique du cinéma et de l’audiovisuel. Maintenant, il faut effectivement travailler à développer la chaîne de valeurs et c’est ce travail qui est énorme. C’est le chantier qu’il faut attaquer aujourd’hui. Nous qui sommes dans ce métier devons travailler à ouvrir le cinéma à toutes les disciplines. De nos jours, le cinéma, c’est le numérique, c’est l’informatique, le droit, l’économie, etc. Donc, il faut créer et développer la chaîne de valeurs. C’est ce qui va permettre à la fois, de faire en sorte que notre industrie ait des créateurs, des personnes qui prenne la production en charge, des personnes qui identifient de bons sujets, celles qui trouvent de l’argent pour la production et enfin celles qui sont capables de porter nos films auprès du public. Nous devons développer toute la chaîne pour arriver au développement d’une véritable industrie. C’est le plus gros du travail. Le challenge  n’est pas encore relevé, mais je pense que nous avons toute la base pour le faire, parce qu’il y a beaucoup de compétences sur le continent africain. Et nous avons les opportunités très importantes, parce que nous avons le public. Et nous sommes d’accord que les Africains aiment voir leurs propres images, qu’ils ont compris que le cinéma est cet outil-là qui va nous permettre de nous connaître entre nous et de créer ce vaste espace de l’Union africaine sur les plans économique et social. Je crois que la prise de conscience est là, au niveau des populations, au niveau des dirigeants.

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Maintenant, il faut arriver à mettre les différents ingrédients, faire un bon mélange pour que ça prenne. Moi j’ai espoir, parce qu’aujourd’hui on se rend compte que la jeunesse s’intéresse à la question du cinéma et de l’audiovisuel, et nous avons aussi vu que dans la plupart des pays, la question de la formation est véritablement prise en compte. Donc, il y a un engagement. Le marché est déjà là. Il faut simplement arriver à l’organiser, créer un environnement législatif et réglementaire adéquat pour faciliter l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel. Nous, professionnels, devons travailler entre nous pour changer les mentalités. Pendant longtemps, on se considérait comme des créateurs. Une fois que le film était sorti, on se disait avoir réussi. Mais, il faut qu’on réfléchisse sur le volet économique de la production cinématographique. Aujourd’hui, faire du cinéma, c’est de l’entreprenariat. Il faut vraiment développer l’entreprenariat culturel pour passer à une autre étape de notre développement. Si on ne change pas de mentalité, on va se faire avoir encore une fois. Il y a un besoin de contenus, un public, un marché. Si on ne s’organise pas pour prendre ce marché, d’autres personnes viendront le récupérer.

Comment fédérer les énergies pour créer justement la chaîne de valeurs dont vous parlez ?

Il y a d’abord un travail à faire au niveau de chaque pays. Il faut arriver à faire en sorte que, dans les politiques nationales de développement, la culture soit insérée et considérée comme un des piliers du développement. Et quelque part, je ne sais pas si c’est parce que je suis du cinéma, mais ce domaine devrait être la locomotive. Dans le cinéma, on trouve les arts plastiques, la musique, la mode, etc. A partir du moment où tout cela est bien pris en compte dans les politiques de développement, chaque pays pourra créer un environnement favorable à cette industrie. Le reste, c’est l’affaire des professionnels. Nous devons travailler au changement des mentalités. Il faut qu’on arrive à sortir, petit à petit, de cette situation de subvention à fond perdu et qu’on arrive à se considérer comme des entrepreneurs. Quand je prends de l’argent, je dois rembourser et faire du profit. Donc, il faut qu’on arrive à insérer cette mentalité. Dès qu’on aura réussi, on se verra simplement comme des hommes et des femmes d’affaires. Au Burkina Faso, par exemple, au niveau de la Chambre du Commerce et de l’industrie, la culture a un représentant. Il est membre consulaire et prend la parole pour défendre les intérêts de la culture auprès des opérateurs économiques et des décideurs du pays. C’est un pas important dans l’effort fait par certains pays pour élever la culture à son niveau business. Le cinéma crée des emplois, génère des capitaux et c’est bien qu’on en soit conscient.

Quel bilan pouvez-vous faire du Fespaco 2019 ?

Le Fespaco 2019 c’était une édition cinquantenaire. Donc, 50 ans, ça se fête ! Nous avons organisé cette grande fête, avec l’ensemble de la profession. Un an avant, nous avons convoqué une grande réunion, un atelier international à Ouagadougou, avec les cinéastes, les partenaires, les critiques de cinéma, pour asseoir ensemble, le programme de ce cinquantenaire. Et nous, responsables du Fespaco, avons eu pour mission d’organiser ce programme. L’essentiel des activités prévues a été mis en œuvre pendant le cinquantenaire du Fespaco. Maintenant, c’est le public, ce sont les professionnels, entre autres, qui pourraient mieux apprécier le travail. Mais, je pense que nous avons fait en sorte que Ouagadougou 2019 soit l’endroit où toutes les générations des cinéastes africains ont pu se rencontrer. Dans la programmation, on a fait en sorte que les films marquants de l’histoire des cinématographies africaines soient présentées dans un créneau spécial. C’était un peu ça le cinquantenaire : la rencontre des générations et une programmation qui retrace l’histoire des continents, avec une implication forte des politiques et des organisations internationales. Donner la parole au président de la commission de l’Union africaine au Fespaco, c’était un signal très fort pour dire, l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel doit être considéré comme un pilier du développement. De ce point de vue, je pense que nous avons pu relever le challenge. Mais, encore une fois, c’est le public qui peut mieux apprécier.

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