Catherine Ruelle au cœur de la réalisation des festivals cinématographiques en Afrique
Est-ce que tout au long de votre parcours en tant que journaliste culturel, vous avez été marquée par les œuvres des professionnels du cinéma africain ?
Du festival francophone de Beyrouth et Dinard, aux Journées Cinématographiques de Carthage et au Fespaco, de Cannes à Berlin et à Venise, je me suis mise à sillonner la planète cinéma.
J’ai très vite été fascinée par ces images nouvelles, ces langages différents et ces histoires cinématographiques qui nous amenaient sur les écrans, les réalités et les rêves d’un monde mis sous le boisseau par des siècles de traite et de colonisation, y compris au Canada et en Amérique Latine !
Chaque nouveau film m’apportait un choc esthétique et intellectuel profonds. Chaque décennie apportait également son lot de nouveaux cinéastes et de nouveaux thèmes.
Dans les années 70-80, j’ai été très impressionnée notamment par la découverte des films de cinéastes afro-américains comme Larry Clark, Charles Burnett ou Billy Woodberry, ainsi que par la force combative de cinéastes comme Ababacar Samb Makharam.
Les années 80-90 virent l’explosion d’une nouvelle génération de cinéastes, dont les films portaient moins sur la réappropriation d’une identité et l’exil, que sur les nouvelles sociétés africaines : de Souleymane Cissé, à Gaston Kaboré, et Idrissa Ouédraogo, en passant par Mohamed Chouikh, Brahim Tsaki, Souheil Ben Barka, Naceur Khémir, Nouri Bouzid ou des cinéastes de la diaspora comme Arnold Antonin, et Euzhan Palcy, souvent rencontrés au Fespaco d’ailleurs.
Evidemment la liste n’est pas exhaustive, pas plus que celle des cinéastes de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème d’ailleurs!
La dernière décennie du 20ème siècle vit la consécration de cinéastes comme Abderhamane Sissako, Cheikh Oumar Sissoko, Moussa Touré, Tariq Teguia, Mahmoud Ben Mahmoud, affûtant leurs images et un langage cinématographique fort, avant l’irruption des cinéastes des années 2000 et l’apparition nouvelle de grands pays de cinéma avec Newton Aduaka (Nigéria), Zola Maseko (Afrique du Sud), Mweze Ngangura (RDC), Jean Odoutan (Bénin), Mama Keita (Guinée).
Ces années là marquèrent également l’arrivée en masse sur les écrans des femmes cinéastes après les pionnières Safi Faye, Moufida Tlatli où Farida Ben Lyasid.
On vit de plus en plus de films réalisés par des femmes imposant avec force leur point de vue et leurs images, leur manière singulière de voir le monde, comme Narjiss Neijar, Regina Fanta Nacro, Djamila Sahraoui, ouvrant la voie à Wanuri Kahiu , Mounia Meddour, Mariette Montpierre ou même Yasmine Chouikh.
Le 21ème siècle naissant, vit également le succès grandissant du genre documentaire ou Malek Ben Smaïl, David Pierre Fila, Idrissou Mora Kpai, Jihan El Tahri et Nadia El Fani, ouvrirent la voie aux cinéastes d’aujourdhui comme Eleonore Yaméogo, Aicha Macky, Alice Diop ou Aicha Boro. La liste complète serait beaucoup plus longue évidemment.
Au cours de ces « voyages », et de ces années, j’ai rencontré des cinéastes qui sont devenus des amis et nous avons passé ensemble beaucoup de temps à partager et à faire partager notre « passion cinéma ».
Lesquels de ces acteurs vous ont inspirée ?
Tous ces cinéastes, journalistes, acteurs, rencontrés à travers mes émissions, femmes et hommes, m’ont appris énormément. En fait, nous sommes souvent devenus des amis par delà les distances et les différences. Et nous nous sommes mutuellement accompagnés dans nos carrières respectives. Evidemment, je garde beaucoup de tendresse pour Djibril Diop Mambety, un des premiers rencontrés à Dakar lors de la projection de Touki Bouki en 1972, un ami cher, qui m’a toujours soutenue et défendue, car la tâche n’était pas simple quelquefois pour une petite « blanche parisienne » !
Sembène Ousmane a été en quelque sorte mon mentor. Ses livres comme ses films ont permis à la toute jeune fille que j’étais alors, de grandir et d’apprendre. Il m’a même fait l’honneur bien plus tard de me prendre dans son jury au Fespaco 1985. J’en ai gardé de grands souvenirs.
Et grâce à mon ami Serge Daney, un immense critique et un fervent défenseur des cinéastes du continent, nous avons pu porter sur les fonds baptismaux le festival des trois continents de Nantes en 1979.
Propos recueillis par Georgine Motassi