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« Je suis formateur des formateurs des habilleurs sur mesure »

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 « L’habillement est un art » 

« Avec les personnes que j’habille, je ne peux pas me permettre de faire de l’à peu près »

« Ma passion pour la couture remonte à ma tendre enfance »

 « Quand tu t’habilles chez Saint Joe, tu as de la promotion ». Tel est le premier slogan de Saint Joe auprès des étudiants ou des jeunes cadres dynamiques de l’époque.  A l’état civil, Saint Joe est Joseph Ilboudo. Il a vu le jour vers 1953 à Ouagadougou au Burkina Faso. Plusieurs collections ont émaillé la vie artistique et créatrice de cet homme, bosseur infatigable  et discret malgré le succès et le talent qui le caractérisent.  La particularité de la griffe ‘’Saint Joe’’ c’est la haute couture avec de belles finitions au niveau de ses créations. Il fait partie des pionniers à faire le faufilage dans les pantalons. Formateur des formateurs  du sur mesure et du prêt-à-porter, Saint Joe  est très classique, soft avec des lignes fluides. Dans ses atelier et showroom de Treichville avenue 21 Rue 16 barrée, ses matières de prédilection sont les tissus à savoir le tergal, les super 100, 120 ou 150. Il utilise aussi le pagne qu’il mélange au kita ou au raphia. Il a de petites touches qu’il colle sur ses créations. Ce qui permet à celui qui s’habille en Saint Joe d’être singulier. Entre deux rendez-vous, il a partagé avec nous ses 40 ans d’expérience de couture,  tout en jetant un regard sur la mode au-delà des frontières ivoiriennes.

Comment dois-je  vous présenter : créateur de mode, modéliste, styliste ou couturier ?

Par rapport  à la formation que j’ai eue à l’Académie internationale de coupe de Paris où j’ai eu le diplôme de modéliste. Quand on parle de modéliste, cela regroupe les stylistes et modélistes. Donc c’est un grand domaine par rapport à la mode. Je suis créateur, gradeur en même temps formateur. Modéliste est le dernier diplôme.

Comment êtes-vous arrivés à la mode ?

Ma passion pour la couture remonte à ma tendre enfance. Ce métier m’a toujours fasciné et intéressé. Avant  la fête de Noel, au mois de décembre, notre père nous a envoyé prendre nos habits de fête. J’ai été émerveillé par le travail effectué par le tailleur. Je me suis interrogé, comment il a transformé le tissu en habits. 15 ans après, il était question que j’apprenne un métier. Mes parents ont souhaité que je fasse la mécanique mais j’ai décidé d’opter pour la couture.

Aujourd’hui, Saint Joe est une marque déposé au niveau de la haute couture en Côte d’Ivoire. Qu’est ce qui fait la spécificité de  la griffe Saint Joe ?

Saint Joe se caractérise par sa finition. Je mets l’accent sur la finition. Tout le monde fait la couture et pour moi, il faut faire la différence. Quand on prend une de mes créations, on sait déjà le travail professionnel qui est fait. Avec le niveau que j’ai atteint et les personnes que j’habille, je ne peux pas me permettre de faire l’à peu près.

On parle tantôt de la vieille et nouvelle école de la mode. Où se situe Saint Joe ?

La mode est  évolutive. Celle des années 80 n’est plus celle d’aujourd’hui. Par exemple, on parlait avant de Bas 32 qui a laissé la place à d’autres modèles. Les costumes d’aujourd’hui sont plus près du corps que jadis, où ils étaient plus amples avec le pantalon. J’ai une base et je ne fais qu’évoluer selon la tendance du moment. Je me suis revendiqué de la couture classique. J’excelle aussi dans le conseil vestimentaire. Par exemple, je peux louer mes services à un couple qui souhaiterait se marier en fonction de l’organisation convenu. Il en même pour une personnalité qui accède à un niveau de responsabilité et qui voudrait changer de look. Des conseils sont nécessaires pour le choix de ses costumes, de ses cravates et autres. L’habillement est un art. Voilà pourquoi, l’on parle d’art vestimentaire.

Avec  quatre décennies de la haute couture, combien de collections compte Saint Joe ?

Je n’ai pas beaucoup de collections. Quand vous regardez mon parcours, je fais plutôt de l’habit sur mesure. Les gens viennent. Je prends leurs mesures et je confectionne le vêtement dont ils ont besoin. Donc il n’était pas question pour moi de faire des collections. J’ai commencé à faire des collections pour défiler dans les années 94. Je ne voulais pas faire les deux  à la fois, c’est-à-dire faire des collections pour défiler et faire du ‘’sur mesure’’. Car j’avais trop de commandes à honorer. Parmi mes collections, il ya ‘’le temps’’, ‘’le Boucan’’ et le ‘’Boubou’’.

On vous voit rarement ou presque pas dans les grands salons, les rendez-vous de mode, les galas, les défilés. Pourquoi ?

Mon premier défilé, je l’ai fait en 93 au Fespaco à Ouagadougou devant l’ex-première Dame du Faso, Mme Chantale Compaoré. C’est une question de temps et de disponibilité. Comme je l’ai dit, je fais plus l’habillage sur mesure et je suis constamment pris avec les commandes.

Quels sont les idoles de Saint Joe dans le milieu de la mode ?

Il ya des gens à qui j’ai voulu ressembler. Notamment  mon devancier Chris Seydou. On s’est côtoyé en Côte d’Ivoire comme en France. Je l’admirais beaucoup. Il habillait des premières Dames d’Afrique.

Quels sont les matériaux privilégiés par Saint Jo au quotidien ?

Actuellement, ce sont les super 100 sinon on a commencé par le Moyers, les gabardines et scarbat. Maintenant ce sont les super 100, 110, 120, 150, etc.

Comment se porte la mode aujourd’hui en Côte d’ivoire ?

La mode en Côte d’Ivoire se porte bien. Mais il s’est porté mieux il ya quelques années, car Abidjan était la  capitale de la mode africaine. Abidjan était le carrefour incontournable des génies et des grands créateurs de la mode. Malheureusement on est en train de baisser les bras. Les autres capitales avancent…

Qu’est ce qui est à la basée ce ralentissement au niveau de la mode ?

C’est simple. C’est le manque de formateur et les jeunes gens ne veulent pas former également.

Est-ce que l’invasion du ‘’made in China’’ moins coûteux sur le marché n’est-elle pas la base du ralentissement au niveau de la haute couture ?

C’est très important. Quand nous débutions nos carrières, il n’y avait pas de prêt à porter. Tout était fait sur mesure et les couturiers s’appliquaient. Mais à un moment donné il ya eu la friperie qui a envahie le marché. En Chine, on fait le travail pour la masse, la basse classe. Cette concurrence tue notre métier à petit feu. Il y a vingt ans de cela, la mode était à son plus haut niveau. C’est la voie idéale pour s’habiller. Elle était très prisée car tout le monde ou presque s’habillait sur mesure. Depuis que les produits chinois ont envahi les pays africains, cela a eu une répercussion sur le marché de la mode. Beaucoup de couturiers ne s’en sortent pas. Le pouvoir d’achat ayant considérablement baissé, la qualité des vêtements n’est plus une préoccupation majeure. Beaucoup de  gens très souvent ne savent pas faire la différence, quand d’autres n’ont plus ce goût de s’habiller classe auprès des professionnels comme autrefois.

Au regard de cette nouvelle donne, comment voyez-vous l’avenir de la mode ?

En matière de la haute couture il ya toujours des conservateurs, qui cherchent le bon, la qualité. Il appartient à nous les professionnels d’être sérieux,  de continuer à offrir la qualité. Les clients sont très exigeants.

Quels sont vos meilleurs et mauvais souvenirs dans le milieu de la haute couture ?

Mon meilleur souvenir c’est d’avoir cette opportunité à mes débuts d’arriver en France et pouvoir me former à  l’Académie internationale de coupe de Paris et obtenir mon diplôme de modéliste. Il faut dire que dans mon métier j’ai eu beaucoup de chance. Quant à mon mauvais souvenir, c’est le décès de mon grand frère qui était tout pour moi à mon retour d’Europe. Cela m’a marqué.

Qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui pour donner un second souffle à la mode ivoirienne ?

Il n’y a que l’Etat qui peut relancer le secteur de la mode. L’Etat doit prendre ses responsabilités pour s’impliquer activement dans la formation. La construction des écoles de formation dignes de ce nom animées par de grands formateurs incombe en premier aux pouvoirs publics. Rares sont les jeunes qui peuvent actuellement avoir la chance ou se permettre d’aller suivre une formation en France.  Cela sera un moyen pour lutter contre le chômage.

Nous sommes dans une nouvelle année. Quels sont les  grands chantiers de Saint Joe pour satisfaire sa clientèle de plus en plus exigeante ?

C’est d’abords souhaiter à tous des vœux de bonne santé, de paix  dans le pays, dans nos entreprises et foyers. Pour ce qui est de mes collections c’est une surprise. Généralement, je ne parle pas de mes créations avant leur mise sur le marché.

En tant que doyen de la couture ivoirienne, quels conseils Saint Joe donne à la jeune génération ?

Ce le même conseil que je donne tous les  jours. Que les jeunes prennent le temps d’apprendre. C’est dommage que certains soient pressés. Tous les grands noms de la mode ont pris le temps de se former, d’apprendre et d’être assidus. On ne perd jamais son temps.

Quels sont vos rapports avec les autres créateurs ?

Ce sont des relations cordiales. Tout le monde m’appelle le ‘’doyen’’. Partout où je passe c’est le respect.

Avez-vous un appel à lancer ?

C’est plutôt un cri du cœur à l’endroit de l’Etat. Il faut qu’il accompagne la formation à la haute couture. Cela créera des emplois et atténuera des phénomènes comme les braquages et autres comportements déviants de la jeunesse.

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