Dans l’univers des femmes qui veulent devenir ‘’claires’’ à tout prix
Avoir la peau claire à tout prix est la tendance à la mode en ce moment à Abidjan, chez de nombreuses femmes et jeunes filles. Et ce, malgré les risques encourus. Constat dans les rues d’Abidjan.
« Les femmes noires sont en voie de disparition à Abidjan ». Cette boutade, on l’attend au quotidien dans les rue d’Abidjan, à la vue de cette nouvelle race de femmes et jeunes filles ayant recours à la dépigmentation. « Gos panthère, Caméléon, Zèbre… » Les sobriquet ne manquent pas pour qualifier ces filles utilisant les produits décapants. Elles ont pour point commun ces teints à géométrie variable. Avec le phénomène de mode aujourd’hui et le concept ‘’choco’ ces derniers temps, la dépigmentation a pris de l’ampleur. Pis, les médias, les panneaux publicitaires ont donné de l’ampleur au phénomène, avec cette tendance de révéler les femmes claires comme signe de beauté. Et cela joue de manière psychologique dans la société. « Quand tu as un teint ‘’choco’’ aujourd’hui, tu ne passes pas inaperçue. Et les hommes aiment et cela paye », explique Alice. Qui dit avoir éclairci son teint naturel dans le but d’attirer plus les hommes. Les vergetures sur son corps témoignent des séquelles de la pratique.
Des méthodes dangereuses
Des femmes dépensent des fortunes uniquement pour avoir le teint du’’ siècle’’, c’est-à-dire le teint clair afin de séduire les hommes. Des commerçants, installés dans les marchés en font un véritable business. Ils préparent des mixtures qu’ils proposent aux dames qui les sollicitent. Sans pour autant connaitre les doses des différents produits. « Je fais ici des mélanges de pommades. Et cela dépend du degré d’éclaircissement sollicité par les clientes. Mes prix commencent à partir de 5000f. Je peux recevoir au minimum une dizaine de clientes par jour », témoigne une commerçante sur le boulevard Nangui Abrogoua à Adjamé. Des femmes préparent elles même les mixtures décapantes. Ainsi des produits servant, en médecine, à traiter des cas graves d’allergies ou des chocs hémorragiques sont abusivement utilisés car ayant découvert qu’ils dépigmentent. Des préparations magistrales à base d’eau de javel et de lait de corps pour accélérer le processus. L’hydroquinone et ses dérivés sous forme de lait, crème, tube, huile, gel ou savon sont aussi très prisés. Certains produits contiennent jusqu’à 22% d’hydroquinone, alors que la dose normale est de 2%. D’autres personnes se font même faire des injections. Les zones difficiles à éclaircir (le coude, les mains, les jointures des pieds et des mains, le cou, le dos) nécessitent des produits plus agressifs comme l’eau oxygénée, à en croire des témoignages recueillis au Forum d’Adjamé. Là-bas quel qu’en soit le type de peau, le degré d’éclaircissement, des gammes variées de produits sont disponibles sur le marché. L’eau de javel est utilisée pour se frotter la peau afin d’éliminer la mélanine qui se trouve en surface. Ensuite le produit qui se chargera de la destruction de la mélanine en profondeur afin d’accélérer l’éclaircissement de la peau est appliqué. Mais le plus grave est que même de l’acide est utilisé dans du savon pour le bain. Celles dont les moyens sont peu consistants, optent pour des mixtures moins « décapantes ». Les produits cosmétiques à base d’hydroquinone sont les moins chers donc beaucoup convoités, à en croire des commerçantes au marché ‘’forum’’ d’Adjamé, dans une boutique de produits cosmétiques.
Problèmes de santé graves
De l’avis des spécialistes de la santé, les femmes qui se dépigmentent n’ont aucune notion sur les composantes des produits qu’elles utilisent. « Ceux-ci sont faits à base de médicaments ou de préparations magistrales à forte dose de produits éclaircissants, détournés de leur indication médicale, de contrefaçons de médicaments ou de produits éclaircissants illicites. Le plus souvent des corticoïdes à effet très puissant, de l’hydroquinone et même des dérivés du mercure qui sont des substances interdites, sont associés dans la fabrication de ces produits éclaircissants », explique Monsea Elysée, étudiant en médecine. Quant à dame Koutouan qui a arrêté de se dépigmenter, elle laisse entendre : « je passais plus de temps à m’enduire le corps de crème et me recouvrir de la tête jusqu’aux pieds. Ça m’a fait du bien d’arrêter», avant d’indiquer qu « aucune femme n’a besoin de se dépigmenter à cause des hommes, un homme doit t’aimer telle que tu es ». Selon elle, ce sont des dépenses inutiles. Elle dépensait dans le mois près de 50 000 francs pour des produits en provenance des Etats-Unis. Cette pratique est à l’origine de nombreux maux tels que les problèmes dermatologiques (infections bactérienne, gale, acné, atrophie, vergetures, trouble de la pigmentation, brûlure, cancer de la peau, etc.), des conséquences gynécologiques pour les femmes. Des maladies graves telles que l’hypertension artérielle, le diabète, les problèmes osseux, de cécité et même des complications rénales ou neurologiques. Certaines victimes souffrent de cicatrisations difficiles voyant leur peau décliner en plusieurs teintes au gré des agressions solaires. Une peau fragile qui rend difficile une intervention chirurgicale au cas où la personne a un problème de santé. Il peut avoir aussi des risques d’intoxication. Ces personnes s’adonnant à cette pratique ont toujours des parfums en leur possession à cause des odeurs qu’elles dégagent. « La majorité des femmes qui s’éclaircissent la peau ont une odeur et ne sont que des problèmes tant au niveau financier que sanitaire. Ce qui fait qu’elles ont toujours des parfumeries avec elles. J’avais une copine qui se dépigmentait. Elle avait un drôle d’odeur à cause des produits qu’elle utilisait. J’ai été obligé de lui dire d’arrêter si elle voulait qu’elle et moi continuons ensemble », raconte Fidèle, jeune étudiant. Pour tout dire, la pratique de la dépigmentation volontaire a des conséquences très graves sur la santé. Qu’elle soit à outrance ou pas, c’est une véritable aliénation culturelle qui mérite d’être combattue avec beaucoup d’énergie par des sensibilisations. Pis, le constat est que des hommes s’y mettent aujourd’hui.