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Eriq Ebouaney : « Il n’y a pas de petits rôles, il n’y a que de petits acteurs »

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Depuis près de vingt ans, l’acteur français d’origine camerounaise fait le tour du monde pour partager son talent dans les productions cinématographiques africaines, européennes et hollywoodiennes. Mais, même s’il côtoie les plus grands, il garde les pieds sur terre et le cœur enraciné en Afrique. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’a pas voulu manquer la 26ème édition du Fespaco. Un bon prétexte pour retrouver ses amis, et se reconnecter à son continent.

Tendancespeoplemag.com en a profité pour parler, avec lui, de sa carrière, de sa vision du métier et de ce que l’Afrique représente pour lui. Entretien…

Vous prenez part au Fespaco cette année. Qu’est-ce que ça vous fait d’être ici à Ouagadougou ?

C’est la 26ème édition et on fête aussi les 50 ans du Fespaco. Donc, c’est un grand moment. On retrouve tous les amis cinéastes, acteurs, et toutes les personnalités du cinéma africain, qu’elles viennent de l’Afrique du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. C’est magique ! C’est le rendez-vous absolu. Lors de la dernière édition du Fespaco, je n’étais pas là. Cette année, je n’ai pas de film, mais je ne voulais pas rater ce rendez-vous. Je voulais me reconnecter un peu avec la grande famille du cinéma africain.

Vous avez assisté à quelques projections ?

J’ai vu le film d’Apolline Traore, « Desrances ». J’ai vu celui de Jean-Pierre Bekolo, mon compatriote camerounais, « Miraculous weapons ». J’ai vu beaucoup de courts-métrages, puisque j’aime bien voir les courts-métrages et tous les jeunes cinéastes qui font leurs premiers pas dans le cinéma.

Depuis bientôt vingt ans, vous participez à des projets d’envergure. Mais, le rôle qui vous a révélé, c’est celui de Lumumba dans le film éponyme. Parlez-nous un peu de cette étape de votre carrière.

C’était mon premier film. C’était plutôt sympa. Avant cette aventure, j’étais plus dans le théâtre, en plus d’un autre métier [il travaillait dans le commerce international, Ndlr]. C’était un peu magique. Avec ce film, j’ai fait le tour du monde et j’ai eu d’autres propositions en Europe, aux Etats-Unis, etc. Donc, j’ai commencé à enchaîné mon métier d’acteur grâce au film Lumumba. C’est vrai que pendant très longtemps, les gens m’appelaient Lumumba. Mais maintenant un peu moins, parce que depuis, ma barbe a blanchi. J’ai pris un coup de vieux. Je lui ressemble un peu moins.

Connaissiez-vous Lumumba avant de l’incarner au cinéma ?

Je connaissais vaguement le personnage parce que mon père m’en a parlé en disant que c’était un héros de l’histoire de l’Afrique. Mais, c’est vrai que pour faire le film, j’ai dû regarder des documentaires, consulter des archives, des livres, pour m’imprégner un peu plus du personnage. Je devais maîtriser sa façon de bouger, de parler, pour être plus proche de lui. Quand on incarne un personnage qui a vécu, il faut que les gens puissent identifier de qui il s’agit. Il ne faut pas qu’il y ait trop d’écarts entre la personne décrite et l’acteur. On doit trouver une similitude. On doit se dire que c’est le vrai qui est réincarné.

Certaines scènes de ce film sont assez déchirantes. Comment vos proches réagissent-ils quand ils regardent « Lumumba » ?

Il est vrai que mes filles n’ont jamais pu voir le film en entier, surtout que le personnage se fait tuer et qu’il a une relation assez touchante avec ses enfants. Donc c’est un peu difficile.  Même ma mère a toujours eu du mal à voir le film. Elle pleure à chaque fois. J’ai beau lui dire que ce n’est qu’un film. Et elle me dit « Je ne pleure pas uniquement parce que c’est toi mon fils qui joue, mais pour l’histoire qui est racontée et le destin de ce personnage». C’est vrai que c’est assez poignant. C’est un peu la tragédie des grands héros africains.

Vous êtes l’un des rares acteurs à surfer entre le cinéma africain, le cinéma français et le cinéma américain. Quelles sont les spécificités de ces trois contextes ?

Je reconnais que je suis un peu enfant gâté, parce que j’ai cette chance-là, de me balader dans plusieurs cinématographies. Le cinéma africain n’a pas de moyens. Il faut quand même l’avouer. Je tiens tout de même donnée à faire un film par an en Afrique, quelles que soient les conditions. Parfois, ce sont des films que je co-produis ou dans lesquels je joue. Mais, sur le cinéma américain ou anglo-saxon, c’est toujours un peu trop. C’est le contexte de la démesure. On a deux assistants, une grande caravane, on tourne avec plusieurs caméras, etc. Le cinéma français, quant à lui, c’est une famille. Les gens travaillent avec ceux qu’ils connaissent. Je commence à avoir ma petite famille dans le cinéma français, des gens qui m’aiment bien et avec qui je travaille régulièrement. Mais, il se trouve que dans le cinéma français, l’homme noir n’est pas toujours le reflet de la réalité. En d’autres termes, les personnages incarnés par les noirs sont toujours un peu caricaturaux ou s’inscrivent dans les clichés. Dans le cinéma africain, les personnages ont plus d’envergure, mais il n’y a pas beaucoup de moyens pour raconter des histoires de qualité.

Du coup, le héros ne va pas revêtir une cape…

Pas toujours, mais bientôt… (rires)

Dans lequel des trois contextes vous sentez-vous le mieux ?

Je ne vous cache pas que ce sont les histoires que j’aime raconter. Donc, ça dépend des personnages qu’il y a à interpréter. Je m’adapte, même si c’est souvent confortable de participer à des productions hollywoodiennes parce qu’on est gracieusement payés et on est bien traités. Mais, essayer de participer à des films en Afrique, c’est un vrai besoin et c’est nécessaire. Parce qu’on essaie un peu d’affiner le travail, d’être exigeant, de façon à tirer les autres vers le haut. Il ne faut pas laisser croire que faire du cinéma en Afrique c’est du dilettantisme. Donc, j’essaie de pousser les équipes pour qu’on atteigne un certain niveau d’exigence afin qu’un film fait en Afrique puisse être vu comme les films asiatiques sont vus à travers le monde. Qu’on puisse être compétitifs dans des grands festivals internationaux avec des films faits en Afrique. J’essaie d’être plus exigeant sur les films en Afrique, comme je peux être exigeant sur des films à l’étranger. Quand on me dit rendez-vous à 7h pour le tournage, moi j’essaie d’être là à 6h45min et de pousser tout me monde. Je ne supporte pas qu’on se dise, c’est cool on est en Afrique !

Quand on a tourné avec des grandes stars comme Kevin Costner, Idris Elba ou Jason Statham, qu’est-ce qui change ?

Ce qui change c’est que, eux, ils sont exigeants. C’est un comme jouer au tennis avec un champion. Il nous envoie la balle tellement fort qu’on est obligé de courir dans tous les sens pour la renvoyer. Ça monte notre niveau de travail. Ça nous fait apprendre beaucoup de choses. Et c’est ce que j’essaie d’apporter aux autres quand je travaille sur des projets en Afrique. Les grands acteurs américains me challengent pas mal quand je suis sur les plateaux avec eux. En dehors des plateaux, en revanche, ils sont tellement gentils, tellement adorables. Mais une fois sur le plateau, c’est parti ! Si au bout de la première prise on balbutie, la deuxième prise, ils nous font vite comprendre qu’ils ne sont pas là pour perdre du temps.

Justement, il y a une scène de bagarre dans « Le transporteur 3 » dans laquelle vous apparaissez. Combien de fois avez-vous dû la reprendre ?

La scène de la bagarre dans « Le transporteur 3 » était épuisante. D’ailleurs, quand on revoit le film, on se rend compte que je me sauve discrètement. A un moment donné, j’ai demandé à ne plus me bagarrer. Jason Statham c’est un champion. J’ai fait un film récemment en Chine avec Steven Steagal et Mike Tyson qui n’est pas encore sorti. Quand on est sur un plateau de tournage avec Steven Steagal et Mike Tyson, on est tellement fasciné par ces monstres sportifs que c’est plutôt rigolo. Mais pour la préparation du film, j’ai dû faire un peu d’entraînement aux arts martiaux.

Quelle est votre technique pour entrer dans un personnage que vous devez incarner ?

J’essaie de me documenter pas mal sur ce que peut être la vie du personnage en dehors de ce qui est écrit. J’essaie d’imaginer son quotidien. J’essaie d’imaginer ce qu’il peut manger, ce qu’il peut lire comme livre et ce qu’il peut aimer comme film. Ça me permet d’avoir une attitude du personnage, imaginer sa façon de bouger, de parler, de marcher. Ensuite j’adapte ça au dialogue. Finalement, on est tous des personnages parce qu’on n’a pas le même comportement quand on est avec sa famille, son amoureux, son employeur, son banquier, etc. On joue toujours un rôle. On revêt un masque de circonstance. C’est ce masque de circonstance-là que je mets à disposition du personnage et puis j’essaie de le ramener à moi en me demandant si j’étais dans ce masque de circonstance-là, comment je me comporterais ? Je dis souvent que les acteurs sont au service du personnage. Et quand il y a des grands personnages à porter, les acteurs ne peuvent être que magnifiques. En somme, il n’y a pas de petits rôles, il n’y a que de petits acteurs.

Un conseil pour les jeunes qui rêvent d’avoir la même carrière que vous ?

Si j’avais un conseil à donner aux jeunes acteurs, c’est d’apprendre plusieurs langues. J’en parle une dizaine : anglais, allemand, italien, espagnol, le swahili et le Xhosa. J’ai eu la chance de jouer des sénégalais, des congolais, des ivoiriens, des centrafricains. Il faut développer cette capacité à parler des langues vernaculaires. Ça aide à être disponible pour jouer dans d’autres pays. Et puis, il faut aussi écrire des histoires qu’ils aimeraient raconter. Parce que finalement, c’est un métier de désir. Quand on n’est pas désiré par les autres, il faut pouvoir soi-même s’épanouir en écrivant ou en jouant des rôles qu’on a envie de jouer. Il ne faut pas toujours attendre que le téléphone sonne et qu’on nous propose des rôles. C’est bien de pouvoir réécrire ses propres histoires.

Vous êtes né en France, mais vos origines sont au Cameroun. Quel est votre rapport à ce pays d’Afrique centrale ?

Le Cameroun c’est ma famille. Mes frères et sœurs y vont tous les ans. Moi j’ai un peu un rapport passionnel, un côté à fleur de peau. En ce moment, je suis tellement déçu par le Cameroun que je n’y suis pas allé depuis sept ans. C’est long ! J’attends d’être apaisé avant d’y retourner. J’espère y aller en 2020, c’est un bon chiffre (rires). En revanche, je suis tout ce qui se passe au Cameroun. Dès qu’il y a une communauté camerounaise quelque part, j’essaie d’être proche d’elle pour échanger et partager. J’ai de la famille au Cameroun, à Douala et à Yaoundé. Je parle les langues locales : le bakoko, le bassa, le douala, je comprends un peu l’ewondo. Mes parents sont de Mouanko [dans la région du Littoral du Cameroun, Ndlr]. Mon père y est enterré.

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